lundi 20 mai 2013

Orphelin

Je n'ai pas eu de promenade,
Main dans la main avec mon père,
Ni les élans, les embrassades,
Tous ces plaisirs élémentaires.
Lorsque je partais en balade,
J'étais seul ou avec mon frère,
La petite enfance est malade
De cette absence tutélaire.

Je jalousais mes camarades,
En les entendant, fort diserts,
Raconter à la cantonnade,
Des récits filiaux ordinaires.
Moi, je n'avais d'autre parade,
Car je ne pouvais que me taire,
Que de partir, bougon, maussade,
Chercher le giron de ma mère.

En sirotant mes orangeades,
Sur la plage, scrutant la mer,
Je laissais mon esprit nomade,
Rêver à ce jour où ce père,
Au retour de quelque croisade,
Me revenait, tel un corsaire,
Pour me conter ses escapades,
Toute sa vie aventurière.

Ce n'était qu'une mascarade,
Ou simplement une chimère,
Rien d'autre qu'une galéjade,
Pour dissimuler la misère
D'un cœur qui battait la chamade,
Empli d'une tristesse amère,
De ce sentiment de panade
Que je portais en bandoulière.

Malgré toutes ces estacades,
Jetées afin de me distraire
De cette désolation froide,
Je revenais les pieds sur terre.
Pour limiter mes incartades,
Je passais par le cimetière,
Voyant derrière la palissade,
La tombe grise de mon père.

J'étais bébé lorsque, malade,
Il fit son ultime croisière.
Tel un bateau resté en rade,
Ma pensée était en jachère.
Je n'ai même pas la pommade
Des souvenirs pour me complaire,
Quelques photos en enfilade,
Garnissent mon imaginaire.

Son odeur lors des embrassades,
Le son de sa voix en colère,
Sont les absences, les brimades,
D'une mémoire lacunaire.
Et le récit d'une décade
De vie commune avec ma mère,
Ne donne qu'une image fade,
Il reste pour moi un mystère.

Lorsque la mort, en embuscade,
Me transformera en poussière,
Je veux pour ultime accolade,
Etre posé près de sa bière.
Tout en lui lançant des œillades,
J'espère pouvoir enfin faire,
Cette dernière promenade,
En serrant la main de mon père.
Mai 2013

vendredi 10 mai 2013

Photo de Classe

A l'heure du numérique, où il n'est même plus nécessaire d'avoir un appareil-photo pour mitrailler tout et rien, aussi rapidement qu'un chapelet d'éternuements causés par un rhume des foins, il est touchant de tomber par hasard, sur une vieille photographie d'enfants alignés pour la traditionnelle photo de classe.

Dans la première partie du siècle dernier, dans ce que l'on nomme actuellement les Régions et qui était alors la Province, l'évènement, car cela en était un, impliquait une modification de la routine matinale.
Le levé était généralement avancé d'une bonne demi-heure car la toilette du gamin se devait d'être exemplaire. Une toilette "en grand", avec savon, sur tout le corps, tignasse comprise ! Vérification des mains, des ongles et des oreilles. Bref, la toilette du dimanche un jour de semaine ! Et encore, bien heureux celui qui échappait à la coupe des cheveux, la veille chez le coiffeur ou pire, le matin, à la maison, par une mère certes aimante, mais pressée ou d'humeur créatrice dans la réalisation de cette taille.
Sous la blouse lavée de la veille, il n'était pas rare de trouver les habits dominicaux. Cela signifiait qu'il fallait passer la journée en faisant bien attention à ne pas se salir ni  accrocher ou abîmer les vêtements. Sinon, le retour à la maison risquait d'être des plus pénibles.
Donc une journée sans s'amuser. Une journée à ne faire qu'écouter Monsieur l'Instituteur. Une journée à espérer la punition qui priverait de récréation et ainsi, tout en limitant les risques, justifierait ce non amusement.
Enfin, au moment du départ, venaient les recommandations d'usage : "ne fais l'andouille sur la photo", "tiens-toi bien droit et sois sérieux".

Ce jour était à la fois, une contrainte et une aventure. En arrivant à l'école, l'enfant était rassuré de constater que les copains avaient subi les mêmes désagréments matutinaux. D'autant plus que la maître était, lui aussi, rasé de près et apprêté comme une soir de Conseil Municipal. La question était de savoir si sa femme l'avait obligé, lui aussi, à se préparer avec autant de soins ou si c'était de sa propre initiative, qu'il s'était imposé un tel ......sacrifice.

L'attention était grandement troublée par l'attente du photographe. Les élèves assis près des fenêtres n'avaient de cesse de regarder dans la cour pour ne pas rater son arrivée et surtout l'installation de ce professionnel de l'image.
Par de savants codes sémaphoriques, l'ensemble de la classe était informé de l'évolution de la situation. Lorsque la perturbation devenait trop évidente, l'instituteur, pour remédier à cette inattention, sortait son arme suprême : "Bien, maintenant, prenez le cahier rouge !"
Le maudit cahier rouge, synonyme d'angoisse et d'extrême concentration. Le cahier de dictées. Bien évidemment, c'était toujours pendant cet exercice, et lorsque personne ne pouvait relever la tête, que le photographe disposait son matériel. Terminer son devoir, relecture, interrogations sur les accords de participes passés, présents et peut-être à venir, correction de fautes imaginaires puis, ramassage des cahiers.

Enfin, la minute d'immortalité sur papier glacé était arrivée.
Pour une fois disciplinée, la petite troupe arrivait soit dans la cour, soit sous le préau si le temps n'était pas clément.
Là, se trouvait l'appareil sur son trépieds et deux rangées de bancs en guise de gradins. Après les salutations et conciliabules entre l'artiste et le maître des lieux, ce dernier disposait ses élèves sur trois
lignes, en fonction de leur taille : les moyens debout sur les bancs du fond, les grands debout entre les deux rangées et les petits assis sur les bancs de devant. Puis, il venait se placer à côté des gamins, à droite ou à gauche, peut-être en fonction de sa couleur politique, sans prendre garde de l'effet miroir de la photographie, inversait son propre choix !
"Ne bougeons plus."
Clic clac, et tout était terminé.

Et, c'était le retour en classe, en jetant un dernier coup d’œil au photographe qui emballait déjà l'instrument qui leur avait pris une parcelle de leur vie. Pourquoi tant d'énergie dépensée pour quelque chose qui durait si peu de temps ?
Le reste de la matinée était consacré au calcul ou à l'histoire. lorsque la cloche sonnait la fin des cours, les enfants étaient fiers de rapporter à la maison, des tenues à peu près intactes.
L'après-midi, quelle joie de retrouver les habits de tous les jours. L'évènement du matin n'était même plus un souvenir. Les bons élèves écoutaient l'instituteur avec attention, les cancres redevenaient des cancres, la récréation était source d'écorchures et de salissures. Bref, la vie reprenait ses droits.

Il y a, ne serait-ce qu'une quarantaine d'année, cette photo de classe était encore chère au cœurs des parents. Son coût n'était pas négligeable pour la plupart des familles, mais c'était souvent la seule photographie de l'enfant faite dans l'année, sauf si le cousin de la ville venait passer quelques jours durant ses vacances.
Elle faisait, avec fierté, le tour de la famille, puis finissait oubliée au fond d'une boîte en carton.  Mais, malgré les aléas de la vie, les nettoyages de printemps, les déménagements ou autres évènements divers et variés, un jour, elle refaisait surface.
Alors, une partie de l'enfance revenait en mémoire......
Mai 2013