Main dans la main avec mon père,
Ni les élans, les embrassades,
Tous ces plaisirs élémentaires.
Lorsque je partais en balade,
J'étais seul ou avec mon frère,
La petite enfance est malade
De cette absence tutélaire.
Je jalousais mes camarades,
En les entendant, fort diserts,
Raconter à la cantonnade,
Des récits filiaux ordinaires.
Moi, je n'avais d'autre parade,
Car je ne pouvais que me taire,
Que de partir, bougon, maussade,
Chercher le giron de ma mère.
En sirotant mes orangeades,
Sur la plage, scrutant la mer,
Je laissais mon esprit nomade,
Rêver à ce jour où ce père,
Au retour de quelque croisade,
Me revenait, tel un corsaire,
Pour me conter ses escapades,
Toute sa vie aventurière.
Ce n'était qu'une mascarade,
Ou simplement une chimère,
Rien d'autre qu'une galéjade,
Pour dissimuler la misère
D'un cœur qui battait la chamade,
Empli d'une tristesse amère,
De ce sentiment de panade
Que je portais en bandoulière.
Malgré toutes ces estacades,
Jetées afin de me distraire
De cette désolation froide,
Je revenais les pieds sur terre.
Pour limiter mes incartades,
Je passais par le cimetière,
Voyant derrière la palissade,
La tombe grise de mon père.
J'étais bébé lorsque, malade,
Il fit son ultime croisière.
Tel un bateau resté en rade,
Ma pensée était en jachère.
Je n'ai même pas la pommade
Des souvenirs pour me complaire,
Quelques photos en enfilade,
Garnissent mon imaginaire.
Son odeur lors des embrassades,
Le son de sa voix en colère,
Sont les absences, les brimades,
D'une mémoire lacunaire.
Et le récit d'une décade
De vie commune avec ma mère,
Ne donne qu'une image fade,
Il reste pour moi un mystère.
Lorsque la mort, en embuscade,
Me transformera en poussière,
Je veux pour ultime accolade,
Etre posé près de sa bière.
Tout en lui lançant des œillades,
J'espère pouvoir enfin faire,
Cette dernière promenade,
En serrant la main de mon père.
Mai 2013